Contribution à l'étude du ”Gatüzain” des mascarades

Thierry Truffaut

 

Personnage faisant partie de la mascarade rouge dans le groupe des cinq danseurs, il ne semble pourtant n’y être présent que depuis la fin du siècle dernier comme a réussi à le démontrer Jean-Michel Guilcher (1).

 

Il est pourtant différent par son costume et son rôle. En effet, il est souvent considéré comme un danseur moyen et avait plutôt un rôle de farceur il était même appelé “Le bouffon”.

Jusqu’à récemment, nous n’avions pas beaucoup d’explications sur les origines de ce personnage. Or la vision de plusieurs gravures anciennes, ainsi qu’une fête carnavalesque en Andorre (Ordino), nous ont permis d’entrevoir quelques pistes de comparaison qui, espérons le, éclairent un peu plus ses origines.

 

La première gravure présente un personnage faisant partie de la troupe des “comédiens de l’hôtel de Bourgogne” et est conservé à la Bibliothèque Nationale à Paris.

On peut y voir un Arlequin qui déplie un “Gathu” (ce zig-zag en bois en forme de tenailles connu aussi sous le nom de “happe-clair”).

Ce personnage nous rappelle automatiquement le “Ponpierra” du carnaval Labourdin (carnaval d’ Ustaritz). Le ponpierra est une sorte de fou bouffon portant le même instrument qui est appelé Haisturra (grandes tenailles).

Cela évoque bien sûr le monde des fous et des bouffons et nous laisse penser que le choix des deux couleurs jaune safran et bleu qui composent depuis plus de deux cents ans le costume du Gatuzain, ne sont peut-être pas dues au hasard.

En effet, ces couleurs détonnent au milieu du groupe des rouges. Ces deux couleurs sont parmi les couleurs associées à la folie. Le jaune safran est l’une des plus employées pour caractériser la folie et la plupart des miniatures dans les manuscrits anciens utilisaient le bleu pour blasonner le fou !

Au passage signalons que d’autres personnages du Carnaval ou du folklore basque possèdent des costumes barriolés ou très colorés : le Katxi d’Oyaon en Alaba, le Bobo d’Otxagabia et les Mozorros de Lantz en Navarre.

Pourtant le costume du gatuzain n’était jadis pas celui-là. Celui conservé au Musée Basque et qui date de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle est blanc (pantalon et veste). La veste est garnie de petits noeuds, de rubans rouges et bleus, jaunes ou rouges.

 Ce type de costume évoque celui des Arlequins d’Ordinao en Andorre. Sur une tunique blanche sont cousus d’autres morceaux de tissus, mais le blanc reste dominant.

Si notre hypothèse est justifiée, il s’agirait donc bien d’un personnage de ce type que représenterait le gatuzain.

 

Une deuxième gravure nous permet d’aller un peu plus loin dans notre recherche. Elle représente le carnaval de Rome au XIXème siècle et est conservée au Musée des Arts et

Traditions, à Rome. Nous pouvons y voir un personnage essayant avec un “gathu” d’attraper une jeune fille située au balcon.

Cela évoque aussi certains récits qui en Soule disent que cet instrument servait à la fois à attrapper les jeunes filles, à faire peur aux enfants, à ouvrir le chemin à la mascarade (alors qu’aujourd’hui le rôle revient à la Txerra du Txerrero) et à pendre des saucisses accrochées aux plafonds des maisons visitées, spécialement lors des mascarades nocturnes des Maskak

(2).

Lors de ces mascarades des personnages dépenaillés, masqués, entraient dans chaque maison menés par le “gatuzain” personnage déguisé en tenant un “gatu”.

En Haute-Soule, il est même dit qu’il venait chercher la part due au Basa-Jaun (3).

Cette situation consistant à rentrer dans les maisons rappelle aussi le personnage d’Arlequin.

 

Une autre gravure ancienne de 1580 nous présente un Harlequin geux et loqueteux qui trouve son origine sans doute dans les personnages d’Hellequin, Hennequin (de la Hollande à l'Allemagne en passant par la Flandre) véritables damnés, errants aux habits déchirés et en lambeaux.

 C’étaient de véritables croquemitaines (personnages chargés d’effrayer les enfants). Ils venaient chercher les morts pour les emmener dans l’au-delà. Dans cette zone, les carnavals de Wallonie possèdent de nombreux “Happechair”.

Ce mythe est particulièrement vivant en Gascogne et en Pays Basque sous le nom des chasses du Roi Artus (4) (la relation entre Artus et Hartza est intéressante surtout quand nous savons que l’ours possédait aussi jadis un rôle psychopompe de transporteur des âmes des morts), d’Errege Xalamon et de Matéo-txistu(s)...

Le gatuzain pourrait bien trouver son origine dans ce personnage errant, couvert de haillon, marginal, chargé chaque année dans cette période de débarrasser les maisons des morts de l’année, avec l’aide de son “gatu” et par la même occasion de se payer en victuailles...

 

 

(1) Guilcher Jean-Michel “la tradition de danse en Béarn et en Pays Basque français”. Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme. Paris 1984.

(2) Idem

(3) Duvert Michel “ les Mascarades nocturnes en Soule”. Revue Dantzariak Bilbao.

(4) Arnandin. Contes de Gascogne.

(5) Barandiaran José Higuel de “Dillinario de Mizologia vasca”. La grande encyclopédie Vasca Bilbao 1972